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LETTRE À MES JUGES : PLAIDOYER D'UNE ÂME INCANDESCENTE
 
Ou comment écrire devient l'asile des magnifiquement inadaptés
 
Écrire, quelle farce métaphysique ! Quelle grandiose et ridicule entreprise ! Chercher quelqu'un à qui parler quand personne n'écoute, jeter des bouteilles calligraphiées à la mer numérique en espérant que, quelque part, un autre naufragé comprendra le message codé de notre détresse existentielle.
Voici donc ma confession, mes très chers juges aux perruques invisibles, mon plaidoyer devant ce tribunal fantôme de la normalité sociale qui m'a toujours condamné par contumace.
 
I. RÉQUISITOIRE CONTRE L'ACCUSÉ QUE JE SUIS
On m'accuse d'avoir blessé. D'avoir froissé des épidermes sociaux avec mes angles trop vifs, mes mots trop durs, mes silences trop longs. D'avoir commis le crime impardonnable de ne pas comprendre ces hiéroglyphes comportementaux que vous déchiffrez tous avec une aisance qui me laisse pantois.
Oui, j'ai blessé. Comme le diamant blesse le verre en révélant sa fragilité. Sans préméditation, sans calcul, sans cette délicieuse perversité qui rend l'offense socialement digestible. Car il y a quelque chose de plus impardonnable que la cruauté volontaire : c'est la maladresse authentique.
 
II. CIRCONSTANCES ATTÉNUANTES : ANATOMIE D'UN HANDICAP INVISIBLE
 
"Handicapé social, pas antisocial" — quelle magnifique épitaphe pour ma pierre tombale sociale !
Permettez-moi cette vanité taxonomique : je ne suis pas un misanthrope, je suis un anthropologue accidentel, débarqué sans manuel d'instructions sur une planète dont je ne comprends ni les coutumes ni les dialectes émotionnels. Chaque interaction est une expédition en territoire hostile, chaque conversation un exercice de traduction simultanée entre ma langue maternelle — celle de la pensée pure — et votre dialecte des conventions sociales.
"Qui sait ce que j'ai traversé" — non pas une question, mais une supplication déguisée. Car mon curriculum vitae émotionnel ne figure sur aucun document officiel, mes cicatrices intérieures ne bénéficient d'aucune reconnaissance administrative, mes batailles quotidiennes contre l'incompréhension restent invisibles à vos radars sociaux calibrés pour la normalité.
 
III. LA LITTÉRATURE COMME AUTOMÉDICATION DÉSESPÉRÉE
 
Et pourtant, j'ai cru — ô naïveté sublime des âmes incandescentes ! — que l'écriture pourrait être cette potion magique qui soignerait mon âme écorchée par l'existence ordinaire.
Quelle farce cosmique ! Transformer l'inadaptation en art, l'aliénation en esthétique, la souffrance en syntaxe ! Comme si noircir des pages pouvait blanchir mon casier judiciaire social ! Comme si chaque paragraphe était une séance de physiothérapie pour mon âme handicapée !
L'ironie suprême, c'est que cette tentative d'automédication littéraire n'a fait qu'aggraver les symptômes : plus j'écris pour me rapprocher des autres, plus mon langage devient hermétique ; plus je tente d'expliquer ma différence, plus je la cultive ; plus je cherche à soigner mon âme, plus j'expose ses plaies béantes au regard clinique des lecteurs-voyeurs.
 
IV. RÉQUISITOIRE CONTRE LE TRIBUNAL SOCIAL
 
Mais pendant que je plaide ma cause dans ce tribunal fantôme, permettez-moi ce petit renversement copernicien : et si l'accusé devenait accusateur ?
Car qui êtes-vous, mes juges invisibles, pour condamner si facilement l'auteur du crime d'être différent ? Qui êtes-vous pour prononcer ces "mots cruels" qui, sous prétexte de diagnostic social, ne font que renforcer les barreaux de ma cage existentielle ?
Quelle société est la vôtre qui transforme la neurodivergence en pathologie, l'hypersensibilité en faiblesse, la complexité en défaut ? Une civilisation qui préfère médicaliser la différence plutôt que d'élargir son spectre de la normalité ?
 
V. POUR UNE RÉHABILITATION DE L'ÂME INCANDESCENTE
 
Alors voici ma proposition, mes chers juges : et si, pour une fois, nous inversions la charge de l'adaptation ? Si, au lieu d'exiger que je me contorsionne pour entrer dans vos cadres normatifs, vous élargissiez légèrement la porte de votre compréhension ?
Car ce que vous appelez maladresse, je l'appelle authenticité.
Ce que vous diagnostiquez comme handicap, je le vis comme une perception alternative. Ce que vous percevez comme blessure infligée, je l'ai vécu comme vérité nécessaire.
 
ÉPILOGUE : L'ÉCRITURE COMME PLAIDOIRIE PERPÉTUELLE
 
Écrire, finalement, n'est ni une thérapie, ni un art, ni une communion — c'est une plaidoirie perpétuelle devant le tribunal de l'existence. Une tentative désespérée et magnifique de négocier les termes de notre capitulation face à la condition humaine.
Je continuerai donc à écrire, non pour guérir — quelle prétention ! — mais pour témoigner. Non pour être aimé — quelle naïveté ! — mais pour être, enfin, correctement incompris.
Car si j'ai blessé sans le vouloir, j'ai aussi aimé sans savoir comment vous le dire dans votre langue. Et c'est peut-être là ma seule véritable plaidoirie : j'ai aimé maladroitement, mais intensément, ce monde qui ne m'a jamais fait de place.
 
Signée : Une âme incandescente qui a tenté, en vain, de se guérir par les mots.
Amen Tonvoisin
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